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Blog de Samir Ghezlaoui

Abane Ramdane: l’intellectuel de la révolution algérienne

1 Novembre 2012 , Rédigé par Samir Ghezlaoui Publié dans #Histoire

Abane Ramdane: l’intellectuel de la révolution algérienne.[1]

 

«Le grand intellectuel est l'homme de la nuance, du degré, de la qualité, de la vérité en soi, de la complexité», dixit André Malraux.   

 


Par Samir Ghezlaoui

 

10-copie-1.jpgAbane Ramdane a été libéré de la prison en 1955. Avant qu’il ne soit contacté par Krim Belkacem et Amar Ouamrane, il était en résidence surveillée chez lui à Azouza, près de Fort national (Actuelle Larbaa nath Yirathen à Tizi-Ouzou). «Ce sera pour nous une recrue formidable!», dit Krim à son adjoint Ouamrane.

 

 


Bien que sa famille soit très pauvre, Abane a réussi à aller jusqu’au bachot (ancien bac). Il a dû s’arrêter ensuite. La politique l’a vite attiré. Pendant ses débuts, il est devenu l’un des chefs régionaux du PPA-MTLD clandestin. Responsable de Sétif, il est arrêté en 1950. Il profitait de ces 5 ans d’emprisonnement pour lire, réfléchir et analyser la situation algérienne. Ce qui lui a permis d’avoir et d’assurer une grande culture politique, dont peu d’hommes de la révolution pourront se vanter. Durant son incarcération, il a fait une grève de la faim, la plus longue dans les prisons françaises. Son nom était souligné en rouge sur les fiches du directeur de la maison d’arrêt où il a été incarcéré. Il sort de prison à 35 ans, souffrant d’un ulcère d’estomac, qui l’a rendu éventuellement nerveux et d’une nature violente. Il avait aussi un début de goitre qui n’arrangeait rien en son caractère dur et très frontal face à ses contradicteurs. La rencontre avec Ouamrane, son ancien ami du service militaire, était très affective. Ce dernier le taquine en lui faisant remarquer qu’il a grossi et que la prison lui a profité. Abane lui répond qu’il était plutôt malade. «Maintenant je te ressemble Boukarou (grosse tête)», ajoute-t-il en souriant.  

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Le soir même où il quittait son domicile pour rejoindre la capitale, les gendarmes qui étaient affectés à la surveillance d’Abane constataient son absence et ajoutaient son nom aux fiches des recherchés. Il venait de rentrer dans la clandestinité, avec une mention «très dangereux» de la part des policiers. Dès son premier contact avec la tête de la révolution, il voulait tout savoir. Il questionnait sans trêve. Le timide Bitat et le loquace Abane faisaient ensemble un travail complémentaire, merveilleux, pour réorganiser Alger. Après l’emprisonnement de Bitat, Abane prend le patronat de la capitale. Au début, il avait réclamé de ses camarades maquisards de garder le calme à Alger, pour l’organiser discrètement. Il n’aimait pas qu’on discute ses ordres, «quand on fait la révolution, on ne fait pas de sentiments. Même avec les amis». Sa mission était d’implanter politiquement le FLN, tandis que Krim et Ouamrane s’occuperaient de la question purement militaire.

Dès son installation à Alger, il se révèle comme un homme exceptionnel, intransigeant. Il veut tout voir et tout savoir. C’est le premier intellectuel de la révolution. Quelques temps après sa prise d’Alger, il critiqua les responsables de l’extérieur. Il leur reproche de ne pas recevoir des armes ni de l’argent de leur part. Organiser le FLN et prendre la population en mains, tels étaient les deux objectifs majeurs d’Abane. Son premier souci fut de faire connaître le front et sont action à la population. Au bled et dans les djebels, les maquisards faisaient du porte à porte. En ville, il entreprit une campagne d’information par tracts, cette option négligée auparavant. Le FLN manquait des plumes nécessaires à la rédaction des tracts. Son premier du genre était le premier grand tract, qui devait signaler au peuple l’importance du FLN, et aux autorités que ce mouvement se structurait, prenait une forme plus élaborée. 4603cddc

En l’absence des nouvelles de l’extérieur. Abane envoie Yacef au Caire pour réclamer des armes et de l’argent des frères établis en Egypte, tout en insistant sur la priorité de l’intérieur sur l’extérieur. Néanmoins, il a tenu à remercier Ait Ahmed et M’hamed Yazid, pour ce qu’ils ont fait à Bandoeng. La prochaine étape était la chasse aux intellectuels. Abane avait décidé de prendre lui-même contact avec Ferhat Abbas, qui était à l’époque encore leader de l’UDMA. Ainsi, ils se rencontrèrent en la présence d’Ouamrane. Il lui a suggéré de dissoudre officiellement son parti et rejoindre les rangs du FLN. «Je ne suis pas un révolutionnaire de terrain. En revanche avec mon stylo, je peux faire beaucoup de choses», déclara Abbas. Abane l’entendait bien ainsi. Il prit contact aussi avec Francis, Boumendjel, Ben Khedda, Saâd Dahlab, Aissat Idir et Abelhamid Mehri. 

Au début de l’été de 1955, il pouvait compter sur une équipe «pensante». Mais il contribua également à la création des groupes de choc des réseaux urbains, tout en imposant un commissaire politique pour les surveiller. Avec cette équipe politique très solide, Abane se met au travail pour la préparation d’une solide charte politique du FLN. Tenir un véritable congrès, qui donne une assise politique à la révolution, appuyée par une unité d’actions trop souvent anarchiques des régions. Il commença de rédiger le projet de texte de loi le 06 avril 1956, avec quelques corédacteurs. Ainsi le Congrès de la Soummam est né.SOUMAMA.jpg

De plus, Ben khedda a fait admettre à Abane la nécessité d’un journal de la révolution «El moudjahid». Ensemble, ils écrivent les grandes lignes du premier éditorial, chacun lançant une idée puis une phrase. Il était autour du djihad. Le premier numéro contenait des nouvelles de la propagande, un appel des étudiants algérois, la définition du fidaï et surtout les dix commandements de l’ALN. Le texte du premier numéro avait été tapé par Mme Abane et ronéotypé en partie chez Mostefa Benouiniche. Le reste venait d’être tiré sur une ronéo procurée par Ben Khedda. Pour lui, la révolution algérienne, une fois le colonialisme battu, devait apporter au peuple non seulement la liberté, mais ce qu’il appelait la démocratie économique qui, seule, pouvait et donner à l’homme, avec la liberté, le sens de sa dignité. La justice sociale avait un contenu révolutionnaire, la société algérienne devait être transformée. Sans nier la respectabilité de nos valeurs traditionnelles, il voulait que le peuple fasse irruption dans la vie moderne. Ouamrane rapporte un témoignage pour Yves Courrière sur Abane: «J’ai connu pas mal d’intellectuels, mais Abane était remarquablement intelligent. C’était en outre un homme simple, d’une sincérité absolue. Il n’aimait ni bien s’habiller ni avoir de l’argent. La seule chose qui lui importait était l’unité nationale. Il était décidé à l’obtenir par tous les moyens».

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Justement, face à certaine latence de ses camarades, il n’hésitait pas à les bousculer violement. A ce stade, pour illustration, on va se confier aux faits rapportés par l’historien français Yves Courrière dans son livre La guerre d’Algérie (1958-1962). Il note: «Abane dit à chacun son fait sans se soucier des témoins. On l’a entendu ‘vider’ Ferhat Abbas d’un bureau: ‘‘sors d’ici, vieux politicard, lui a-t-il dit, tu n’as rien à y faire. On t’appellera quand on aura besoin de toi’’. Et le vieux leader s’est retiré sans broncher». L’auteur rapporte aussi un autre fait qui concerne M’hamed Yazid, cette fois-ci. Ce dernier a été interpellé par Abane sur sa tenue vestimentaire. «On ne fait pas la révolution en smoking».

Selon plusieurs témoignages, c’est à ce moment là que plusieurs membres du CNRA demandèrent l’intervention de Krim Belkacem pour calmer leur compagnon qui devient de plus en plus très exigeant, et donc agaçant pour eux. Surtout, qu’il s’est pris directement au chef de la wilaya 5, Abdelhafid Boussouf, le qualifiant de «dictateur».

abane krim

Krim interpelle Abane et essaye de le mettre en garde:

«-   Il ne faut pas dépasser les limites. Tu te fais des ennemis pour rien, tu dis à chacun ses vérités en public…

-      Et alors, nous ne sommes pas dans un salon ?! Maintenant qu’ils ont quitté le maquis, ce sont tous des révolutionnaires de palace.

-      Tu veux brûler les étapes et aller à cent à l’heure. Il faut agir souplement ou tu t’y casseras la figure.

-      Tant pis, je serai en règle avec ma conscience. (…) ».[2]  

 el moudhaid

La fin de l’Héros est connue par tous ou presque car aujourd’hui encore, on continue à apprendre à nos enfants qu’Abane «est mort au champ d’honneur» par des balles ennemies. Preuve à l’appui, la Une d’El Moudjahid du 29 mai 1958. La mort d’Aabne était, en fait, la pierre fondatrice de l’institution algérienne du mensonge qui demeure à nos jours très solide. Entre la nuit du 24  au 27 décembre 1957, l’architecte de la révolution fut emprisonné puis sauvagement assassiné par ses frères d’arme. Il a été étranglé par deux soldats de l’ALN, répondant directement aux ordres de Boussouf. L’un d’eux a sombré dans la folie quand il a appris, quelques heures plus tard, qu’il a en réalité tué de ses propres mains son idole mythique de la révolution algérienne, présenté par son chef comme étant «un traîre». Depuis cet acte barbare et injustifiable, l’Algérie n’a jamais retrouvé sa vraie indépendance, souhaitée par Abane et ceux qui se retrouvaient dans son combat: une Algérie moderne, libre, démocratique, économiquement forte, juste et sociale.

Gloire à Abane et à tous nos martyrs.


[1] Une première version de cet article a été publiée in Tribune des Lecteurs du 02/11/2009.

[2] Yves Courrière, La guerre d’Algérie (1958-1962), Robert Laffont, Paris, 1990. PP 89-90.

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O
André Malraux. Says he is a very intellectual man, and by that he mean in very shade, degree, quality, truth and complexity. And the end of the hero is unknown and we should teach our children about this.
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A
@ M, il a baisé avec ta mère? et il a oublié a payer ta mère.
G
Abbane ramdane est un grand traitre, abane ramdane il négociait pour la France, pour les ultras-racistes,fascistes Pieds-Noirs. et le congres de la soumman ce n'est abane non. le vrai architecte du<br /> congrès le plus grand moudjahid larbi Benm'hidi le père du congrès de la Soummam. Abbane ramdane est un traitre?
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M
Sûrement qu’il a baisé ta mère, il a oublié à te payer.
A
la direction de la révolution devait être autoritaire et, surtout, restreinte. cette opposition va se révéler mortelle? bien que la conférence du Caire l´ait affaibli, Abbane avait trouvé des<br /> alliés a l´intérieur de l´armée de libération nationale (ALN) et s´était ainsi donné une assise militaire. cet atout devient sa faiblesse. en détenant grâce a ces alliances, la possibilité de<br /> renverser le cours de la révolution et d´en prendre la direction, Abbane devenait dangeureux il signait sa condamnation a mort. Allah yarham chouhadas.
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