LE FEU DU PARADIS
Chronique du Jasmin
LE FEU DU PARADIS !
Par Samir Ghezlaoui
El-Bouazizi, voilà un nom à retenir par l’histoire humaine. Ce diplômé, vendeur à la sauvette, contrairement à plusieurs milliers, voire millions de ses congénères maghrébins, a su être utile pour son peuple, sans être orgueilleux et sans chercher une gloire hypocrite. Cet inconnu, venu de la profonde Tunisie, a pris en contre pied les grands analystes, les politologues chevronnés et même les éminents experts en géopolitique qui pensaient tous que la machine Ben Ali n’était pas prête à s’arrêter de sitôt. Cet autodestructeur a pu effacer, à jamais de nos mémoires collectives, le cliché mentionnant que le tunisien est passif à force d’être pacifique. Il a reconstruit, entre autre, le mythe disant que le maghrébin est rebelle, sans se soucier des détails concernant ses origines géographiques. Ce martyr d’une cause juste, a prouvé pour ceux qui l’ont humilié qu’il valut beaucoup plus qu’ils le supposaient. Il pouvait choisir une autre façon de mettre fin à sa vie d’homme touché dans sa dignité. Il aurait été ainsi un vulgaire et lâche suicidaire qui n’avait pas le courage d’affronter la vie en face. Non, lui a choisi une «mort plus citoyenne», se sacrifier pour que les autres vivent en paix et prospérité sans autant délaisser la liberté et la dignité. C’est là que commence cette histoire révolutionnaire du Jasmin, tout à fait au sud, à Sidi Bouzid, pour être plus reconnaissant à cette contrée aux profondeurs du Grand Maghreb.
Un seul homme s’immole et c’est tout le sud tunisien qui prend feu. Telle une trainé de poudre, l’épidémie brûlante plus qu’un magma volcanique gagne le Palais de Carthage pour exprimer le marasme social généralisé. Un deuxième mort, un troisième, puis on est déjà à dix morts, bientôt une trentaine de victimes de l’automatisme à tuer téléguidé par madame, ah pardon, M. Ben Ali. A partir de ce moment, le nombre de morts ne compte plus, le peuple comme un seul homme crie son ras-le-bol, il s’est complètement débarrassé de son complexe. Désormais, la peur a changé de camp. Et hop ! Le pyromane du matin joue au pompier le soir. Faisant appel à sa pensée maligne de professionnel, il voulait jouer les héros en contenant ses propres feux. Mais il a dû avoir une insomnie la veille, car il n’a pas bien mesuré la gravité de ses agissements malhonnêtes. Pris en flagrant délit, il essaye quand même de se procurer des bouc-émissaires. C’est la faute de mes conseillers, dit-il, non c’est ta faute, «Pars», lui répond le peuple. C’est la faute à mes ministres, dit-il encore, non c’est la tienne, «Dégages», lui demande le peuple. C’est la lassitude de tout le monde sauf moi, et surtout ma famille, dit-il pour la dernière fois, le peuple lui ordonne, «maintenant casses toi». Plus vite que Seddam sous les chars américains, la légende Ben Ali, imbattable, part en éclats sous l’assourdissante voix de la Tunisie, enfin libre de parler et de s’exprimer sans crainte de représailles. Comme à l’effet d’une baguette magique, le «lion indomptable», expérimenté de 23 ans de règne sans partage, se transforme en un lapin domestique qui supplie ses amis européens de lui offrir une «niche» comme refuge pour lui et sa femelle avec ses 1500 Kg de «carottes en or». Ironie du sort, il ne trouvera ce «trou» qu’au pays des voilées, ce voile qu’il a interdit sauvagement pour ses concitoyennes, désireuses le porter.
Le lendemain, tous ses amis dans le monde politiquo-médiatique, local et international, se retournent contre lui. Ils sont obligés, eux aussi, de suivre la partie victorieuse dans cette confrontation, qui se montrait pourtant à ses débuts inéquitables, faute de quoi, ils rejoindront les cendres du «Système Ben Ali». Telle est la fin, idéale, d’un dictateur de la race d’Ezinne: lâche, humilié et en plus voleur. L’histoire se corrige d’elle-même, et ici, comme dit l’adage populaire arabe «aâibra liman yaâtabir» (Un exemple pour ceux qui veulent s’inspirer NDLR). Tous les membres de «la frange Ben Ali», à travers le monde sans exception, sont concernés par l’effet dominos, et plus particulièrement dans le monde arabe. Plus grave, encore, que le jeu des dominos que nous maîtrisons parfaitement au point où on «domine» grâce au vulnérable «doublé six», le vent tout chaud, tout violent, qui se dégage de ce petit pays qui est la Tunisie pourrait suffire comme allumette d’une explosion dévastatrice dans le reste des pays qui vivent dans le même air électrique.
Pour éviter le même sort que leur ancien «frère», ou pire, et empêcher un tel volcan de se déverser, les responsables de ces pays doivent arrêter immédiatement de jeter de l’huile sur les flammes allumées par des dizaines d’«El-Bouazizi». Ils doivent, absolument, mettre un terme à leur politique de fuite en avant et proposaient de vraies solutions pour les vrais problèmes qui rongent leurs sociétés. C'est-à-dire, instaurer une politique de partage équitable des richesses, démocratiser la vie publique et politique, l’ouverture non conditionnée des champs médiatiques, réformer la justice et l’éducation et enfin, mais surtout, garantir un poste de travail et un cadre de vie décents pour chaque citoyen, en menant des projets économiques plus intelligents et en cessant de se contenter uniquement de cette position, à la fois le pourvoyeur de la matière première et le marché des pays industrialisés. Ainsi seulement, nos gouverneurs peuvent espérer une fin plus heureuse que celle du régime «Ben Ali-Trabelssi», au lieu de vider les caisses publiques pour des solutions superflues, de maquillage, et en devenant des muftis qui pénalisent, religieusement, l’immolation par le feu. Ces soi-disant interprètes de l’Islam n’arrêtent pas de formuler des sentences à la commande. Et ben, ils peuvent dire ce qu’ils veulent, en tout cas moi (l’opprimé), en bon croyant en la justice divine, je suis persuadé que le feu peut être un signe du Paradis et pas forcément de l’Enfer, et il y a une preuve concrète; notez la bien: Mohammed El-Bouazizi ! Tachez de ne jamais l’oublier.