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Blog de Samir Ghezlaoui

Les médias français et les luttes syndicales: un cas de critique sociale -3/3-

21 Octobre 2012 , Rédigé par Samir Ghezlaoui Publié dans #Dossier

 

Chapitre III: L’impact du numérique sur les rapports médias-luttes sociales:

Par Samir GHEZLAOUI

                   On désigne par le terme du numérique, à ce niveau, la généralisation d’Internet qui a permis de booster les TIC (communément appelées Nouvelles technologies de l’information et de la communication). Réparti en trois points, ce troisième chapitre sera consacré d’abord à la présentation d’un nouveau hyper-support médiatique qui est le web. Ce nouveau média représente, en effet, une alternative très impInternet.jpgortante pour les luttes sociales, souffrant de l’hostilité des médias classiques. Les syndicats profitent bien des potentialités infinies d’internet qui englobe l’ensemble des techniques et supports médiatiques, voire les dépasse de loin: écrits, sons, images, vidéos,  chats, réseaux sociaux, etc. C’est la naissance du militantisme virtuel, en parallèle et en complémentarité avec le réel. Ensuite, nous allons présenter un cas plus concret sur l’apport du numérique au mouvement syndical, en l’occurrence la relance du cinéma militant, grâce à la vulgarisation de la technologie digitale et la prolifération des blogs et des sites de partage sur Internet. Puis, nous finirons notre exposé par un constat alarmant d’une volonté des infocapitalistes, indirectement exprimée, de museler le militantisme virtuel et de contrôler le web.

         1.   Le Web comme alternative aux médias classiques:

            L’une des principales raisons de la montée des médias alternatifs, dits citoyens, et le militantisme syndical virtuel est la crise de confiance entre le public et les mass-médias traditionnels, soumis aux forces politico-financières. Au cours des trente dernières années, la presse écrite a perdu de sa crédibilité, au point que certains se demandent aujourd’hui si les médias écrits ne représentent pas un mode de communication dépassé. Il en est de même pour la télévision et parfois pour la radio. L’un des symptômes de ce recul est la baisse alarmante  de la diffusion des journaux.[1] Par contre, sur le web, chaque individu est en mesure de trouver sa place et de prendre activement part à la construction du monde virtuel, sans qu’interviennent les distinctions coutumières et particulières régissant le monde réel. La «hiérarchie sociale» semble atténuée et chacun peut participer, de manière anonyme ou non, de façon plus ou moins active, aux discussions dont les forums, les chats, les newsgroups, les blogs et tous les autres sites sont vecteurs ou outils les plus caractéristiques.[2] 

            Par simple sens de survie, les forces antisystèmes ont émis la volonté de former un phénomène sociologique qui peut compenser l'échec du journalisme traditionnel, voire officiel. Ce journalisme se fait souvent le porte-parole «naïf ou complice» de la désinformation entretenue par les puissances politico-financières, lobbies et communicants rémunérés pour manipuler l'opinion à coups de sondages et messages ciblés. Les Blogueurs, les Facebookers et maintenant les Twittos ont un rôle majeur, permettant d’allumer parfois la mèche ou de relancer le mouvement populaire, mais surtout d’informer le monde des événements quand les médias officiels sont muselés ou sont complices (le cas des révolutions arabes de 2011). Le blogueur, en effet, gêne le politique et dérange le journaliste. Mais surtout, il est presque aussi lu que les vrais journalistes. Dans ce sens, il fait concurrence au journalisme classique, qui s’agace de devoir partager la page de recherche Google avec une multitude de blogueurs qui n’ont même pas leur carte de presse. Quant aux politiques, ils prennent conscience du phénomène de révolte citoyenne qu’expriment les blogueurs, avec une liberté de ton qui brave la langue de bois.[3]

           Néanmoins, le journalisme citoyen et le militantisme virtuel n’ont pas sorti soudainement du néant. C’est toute une histoire de luttes consécutives, fondées sur une intelligence de création, une force de proposition et une volonté de la catégorie sociale majoritaire, c’est-à-dire les gens lambdas, de se recréer une raison de vivre et un espoir de victoire sur la surenchère capitaliste, défendue et vendue par les médias classiques. Dans cette catégorie, on trouve, à juste titre, les sites web de la critique sociale des médias dont nous avons parlé au début de notre exposé comme celui de l’Acrimed, l’Observatoire français des médias, Polémia ou encore AgoraVox qui plus récent. Mais pas que ça. Internet, comme on l’a expliqué, permet parfaitement le mélange des genres. Le citoyens peu être à la fois émetteur et récepteur de l’information, mais aussi militant virtuel pour des causes sociales qui le préoccupent. 

           Le militantisme syndical virtuel en France remonte à la fin des années quatre-vingt-dix. Selon l’auteur Jérémie Lefebvre, le premier site de ce genre est celui des employés de la société Ubi Soft qui ont mis en place, le 15 décembre 1998, un site internet baptisé «Ubi Free, le syndicat virtuel» (le site, gelé depuis le 31 mars 1999, est toujours en ligne. Adresse: http://membres.lycos.fr/ubifree).  Les employés ont décidé de créer ce site comme «alternative à l’absence de dialogue social au sein d’Ubi Soft» et communiquaient tous avec un pseudonyme unique «Albert».[4] Le discours syndical existant ne parvient dans ce milieu, sans dialogue, que de manière anecdotique, filtré par l’ironie potache des Guignols, et son langage rebute profondément. Quelle qu’en soit la provenance, il semble participer d’une éternelle «soupe» médiatico-politique ennuyeuse à l’excès. Cette génération cultive son incrédulité plus qu’elle ne s’informe, elle lit et regarde essentiellement les magazines décryptant les pratiques de «marketing politique». Par contre internet a, en premier lieu, favorisé la ridiculisation de la direction, parce qu’il a permis de fracasser les frontières entre la vie privée et la vie publique d’Ubi Soft, de façon incontrôlable et instantanée. Dans un second temps, Internet a permis à l’ensemble du personnel d’être informé en temps réel des réactions en interne et en externe, et d’intervenir dans le débat en toute sécurité.[5] Internet permet donc une interactivité personnelle-individuelle (informer et s’informer dans un processus de journalisme citoyen) et une interactivité professionnelle-militante (casser les frontière entre la sphère publique et la sphère privée des entreprises).

           Aussi, il est vrai que parmi les raisons qui ont permis au web de s’imposer comme un médias à part entière, voire un hypermédia alternatif aux médias classique, est l’activité du mouvement des logiciels libres qui a permis la création de sites d’hébergement gratuit des blogs, les wikis, les réseaux sociaux et surtout les sites de partage de vidéos (YouTube, Dailymotion, etc.). Ce mouvement est le vrai précurseur du militantisme virtuel, sans être radical comme Anonymous par exemple. «Les logiciels libres partent de cette intrication du logiciel, de la connaissance et du contenu: tout ce qui limite l’accès au code source des programmes va: limiter la diffusion de la connaissance ; privatiser les contenus (avec les dangers que cela peut représenter pour les individus, mais aussi les structures publiques, des universités, aux Etats) ;  et brider la créativité. Il s’agit de construire la ‘‘liberté de coopérer’’ entre les programmeurs. Un logiciel libre respecte quatre libertés: la liberté d’exécuter, la liberté d’étudier, la liberté de redistribuer et  la liberté d’améliorer (le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté)».[6]

           Tous ces logiciels, prêts à utiliser, ont encouragé les citoyens, quelque soit leur appartenance idéologique et leur niveau d’études d’animer de nombre indéfini de sites, de nature et de fonctionnalités différentes. On peut citer par exemple les portails internet. Un portail internet est un site qui propose plusieurs services d’information publique. C’est une sorte de journalisme de service public. Parmi ces portails qui s’occupent du social et particulièrement de la critique des médias: http://homme-moderne.org/, http://menteur.com/ et http://rezo.net/ qui contient, entre autre, des archives du journal PLPL. Il y a aussi des réseaux de presse sur internet comme le Réseau Voltaire qui se réclame comme un «réseau de presse non-alignée», fondé par le journaliste français, très controversé et traité par les médias français de conspirationniste, Thierry Meyssan. Ce réseau, notamment sur son site internet, vise à «développer l’esprit critique de ses lecteurs» en privilégiant «la réflexion sur la croyance, les arguments sur les convictions». Au second trimestre 2011, Voltairrnet.org, utilisant 8 langues (allemand, anglais, arabe, français, espagnol, italien, portugais et russe), réclame une «moyenne de 1 464 475 visites par mois, provenant de 760 524 IP distinctes, et affichant 6 833 917 pages».[7]

           Le succès d’Internet a permis  la création d’information par les internautes eux-mêmes. Une création collaborative et une diffusion en P2P (peer to peer, en français «de particulier à particulier» ou «de pair à pair») qui permettent de constituer et d’entretenir un réseau d’informations que l’on peut confronter les unes aux autres et, en ouvrant très largement les sources, dont on peut vérifier la fiabilité (les blogs, sites web interactifs, sortes de journaux personnels en P2P). Un autre facteur du désenchantement pour les médias traditionnels est l’augmentation et la généralisation du haut débit ADSL. Aussi, le téléphone portable (surtout la 3ème génération 3G) est entrain de créer une nouvelle forme de communication interactive pratiquement en temps réel: flashes d’information, des nouvelles courtes en SMS et même des petites séquences vidéo. Les statistiques montrent qu’aujourd’hui une grande partie de la population, et surtout des jeunes, passe plus de temps devant son PC pour s’informer en texte ou en vidéo que devant la télévision ou à lire des journaux.[8]

           Par ailleurs, il est possible de transférer à partir de son ordinateur personnel des émissions de télévision gratuitement. Les internautes peuvent aussi créer leurs propres images et les diffuser gratuitement en P2P TV avec BitTorrent, un logiciel téléchargeable gratuitement sur le net. A la fin de l’année 2004, il revendique 45 millions d’utilisateurs dans le monde.[9] Le premier mode de communication est 1V1 (un vers un), utilisé dans les administrations. Le deuxième mode est le système pyramidal (top down, du haut en bas) des médias traditionnels. Enfin vint le TVT (tous vers tous, many to many)».[10]

manifestation-ACTA.jpg           Ce qui a encouragé l’ancrage de la radio et la télévision sur internet, c’est l’économie de la gratuité qui a enfanté une marée montante du podcasting. Avec la radio sur Internet, la radio HD, la radio numérique par satellite, une palette d’outils puissants est offerte aux internautes. La révolution du podcasting se fonde principalement sur deux tendances profondes: la prolifération des blogs, dont certains deviennent des stations de radio virtuelles. De plus en plus d’amateurs créent ainsi leur radio personnalisée sans avoir à demander à l’ART (Autorité de régulation des télécommunications) le droit d’émettre à partir d’une fréquence propriétaire. L’existence de radios portées par les habitants d’un quartier ou une association n’est pas nouvelle. Cependant, grâce à internet leur nombre a explosé. C’est ce qu’on appelle les radios communautaires ou associatives.[11]

           Quant à la télévision sur Internet, elle profite de la fracture idéologique et sociale qui s’aggrave de plus en plus entre le public et la télévision traditionnelle. Le model de la télévision classique est lié à un système de production, de distribution et de consommation. Son organisation est pyramidale: la diffusion s’effectue de «un vers tout» (1VT), avec un mode de rémunération provenant principalement de la publicité, la part du financement public étant chaque fois plus marginale. Ce qui revient à envoyer des audiences vers des annonceurs plutôt que des contenus vers des audiences. Ce model très commerciale, pour ne pas dire sauvagement capitaliste avec les contraintes de l’audimat, est progressivement brisé par celui du «anytime, anywhere, any support (n’importe quand, n’importe où, n’importe quel support)».[12] Il faut dire que Dailymotion et YouTube ont facilité la tâche aux internautes. N’importe qui peut gérer directement sa propre chaîne sur l’un de ces deux sites de partage.  En outre, on peut ouvrir directement un site ou un blog comme support télévisuel. En France, AgoraVox TV fraie son bon chemin comme c’est le cas aussi d’Arrêt Sur Images et TV Net Citoyenne (qui couvre souvent de très prêt les activités syndicales comme les marches et les grèves). Les trois chaînes sont toutes spécialisées dans la critique sociale, notamment celle concernant les médias classiques auxquels se posent comme des véritables alternatives. Sur ce point le meilleur exemple est Arrêt Sur Images qui à l’origine une émission sur France 5 du journaliste Daniel Schneidermann avant qu’elle ne soit arrêtée en 2007. Cette émission de critique des médias dont nous avons parlé au début de cet exposé a été supprimée par décision de la direction de la chaîne publique ! Schneidermann (très inspiré par les travaux de Bourdieu) prend alors la décision de continuer son travail critique des médias (traditionnels et nouveaux) sur le web à partir de septembre 2007. Ce projet ambitieux a été finalisé en 2008.  «La campagne d’abonnement sur Internet lancée à cette occasion a rencontré un franc succès en dépit d’un silence quasi-complet des médias classiques».[13] Actuellement, @rrêt Sur Images TV émis sur le site (www.arretsurimages.tv), et en clair chaque jour de 20h à 21h, avec des débats et des chroniques, ainsi que des émissions comme D@ns le texte et @ux Sources.

           Toutes ces potentialités médiatiques font d’internet, selon l’auteur Joël de Rosnay, un cinquième pourvoir. C’est l’incarnation des «médias des masses» après «l’échec» des mass-médias. Rosnay pense que ce cinquième pouvoir qui se forme, «à la différence des quatre autres, qui sont tous descendants, celui-ci laisse la place à de nouveaux enjeux et menace les détenteurs de pouvoirs ‘‘classiques’’. C’est une nouvelle ‘‘force civique citoyenne’’, comme l’appelle Ignacio Ramonet».[14] Joël de Rosnay, lui, fait carrément un raccourci entre le journalisme citoyen et le prolétariat dans son livre «La révolte du pronétariat». Et c’est vrai que les syndicats français profitent de cette technologie au maximum grâce à des sites officiels interactif ainsi qu’une présence forte sur les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos dans le but de profiter de «la culture du buzz».

    2.   La relance du cinéma militant:

            Language de contre idéologie, le cinéma militant s’imagine pour autant parler d’un lieu pur, digne, innocent. Sa grande cause est la prise du pouvoir par le prolétariat. Le film militant fleurit en Europe durant les années 70 comme un moyen de lutte contre le discours du pouvoir, défini par Roland Barthes comme «tout discours qui engendre la faute et, partant, la culpabilité de celui qui le reçoit».[15] Le cinéma militant est fondé sur la force du documentaire sociale. Une longue lignée de cinéastes restera sensible à la dimension historique des documents Lumière, à ces jeux d’ombres capables de dévoiler des inégalités sociales et de révéler la misère sociale.  Les premières images jamais filmées d’ouvriers de Montplaisir sortants des usines Lumière, nous informaient alors autant sur l’avènement du cinématographe que sur la condition ouvrière à Lyon à la fin du XIXe siècle. Au moment de la crise économique des années 1930, les misères sociales que cette même crise développe en Amérique entrainent le photographe Paul Strand à fonder le groupe new-yorkais Frontier Film dont les documentaires dénonceront, avec l’efficacité rhétorique du montage, la brutalité répressive d’un patronat aux abois. Ces mêmes année 1930 voient se mettre en place, partout où les parties de gauche (notamment communistes) sont puissants (Allemagne, France, Etats-Unis, … etc.), des réseaux de production et de diffusion de films de contre-propagande, ancêtres directs des films militants des années 1970.[16]

           Avec les évènements de mai 1968, un nouveau cinéma militant plus offensif est né en France. C’est  au sein des conflits sociaux, que commence à s’épanouir un cinéma militant d’offensive politique. Quelques cinéastes professionnels mettent au service des comités ouvriers leur technicité et leur savoir cinématographique. Avec des équipes réduites, un matériel très léger, ils analysent les sources d’une situation conflictuelle, l’organisation et le déroulement d’une grève. Ce cinéma va privilégier deux thèmes: les tares sociologiques du monde du travail, et la grève comme crise paroxystique des relations professionnelles. Souvent, les cinéastes eux-mêmes participent à la grève. L’un des films les plus influents de ce genre est réalisé en 1971, en Italie par Ugo Gregoretti. C’est le film «Grève et occupation d’Apollon», autour d’un conflit qui opposa durant onze mois les travailleurs d’une imprimerie à son propriétaire.[17]

           Mais, avec le manque de moyens financiers et techniques, dans une société de spectacle et de consommation qui atteint son paroxysme durant la fin des années 1980 et les années 1990, le cinéma militant n’a pas fait mieux que de survivre. Dans la perspective de l’industrie culturelle, l’industrie cinématographique «à la hollywoodienne» chapeaute la production et la diffusion du cinéma en France et en Europe en général. Comme toute institution capitaliste, elle ne s’intéresse qu’à augmenter son chiffre d’affaire. Le film-documentaire militant est méprisé et censuré jusqu’à sa délivrance au début des années 2000. Avec la généralisation d’internet (notamment les sites de partage de vidéos, les sites dédiés au cinéma amateur et militant, etc.), la vulgarisation de la technologie digitale (caméscopes et appareils photo numériques, cartes mémoires,  etc.) et l’explosion de l’industrie du disque (CD et DVD), le cinéma militant français renait, graduellement, de ses cendres. Des petites coopératives de production, très actives sur internet, sont nées et produisent des films de très bonne qualité, loin des holdings télévisuels et cinématographiques.    

           Le journal l’Humanité nous présente l’une de ces coopératives audiovisuelles: La société coopérative et participative «les Mutins de Pangée». Cinq jeunes gens se partagent les tâches (reportages, gestion du réseau de distribution et de la conception cinématographique, etc.). Leur force est la solidarité, leurs reportages étant montés grâce à la souscription à l’achat. Vivant au rythme de rencontres et des mouvements sociaux, les Mutins de Pangée «sortent autant que possible du moule imposé par le monde de l’audiovisuel. Leur revendication est l’utilisation d’un cinéma d’intervention sociale, en tournant des documentaires ancrés dans l’instant présent. Quand TF1, France 2 et France 3, comme l’ensemble des sociétés de productions, imposent la télé poubelle, la surproduction de l’information en temps réelle, leur riposte de construction cinématographique est de donner une vraie dimension sociale au reportage». Ces professionnels de l’artisanat ont couvert, durant la réforme des retraites, la lutte des salariés, en grève, de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne). Tous les jours, «entre occupation et revendications, les mutins filmaient la réalité que les médias taisaient. Durant la grève, nuit et jour, les mutins ont pu faire profiter des milliers d’internautes et de concitoyens de ces moments de lutte inédits, en diffusant quotidiennement, à chaud, des séquences de dix minutes sur leur site».[18] L’adresse du site est: (http://www.lesmutins.org/).


          En plus des coopératives, on trouve des sites internet intermédiaires et de promotion du cinéma militant, sans être forcément impliqués dans la production. On se contente de donner l’exemple du blog «Cinéma militant, luttes sociales et autre» (http://cinemamilitant.hautetfort.com/archives/). Le but de ce blog est de «faire connaître des films et des documentaires traitant de luttes sociales passées ou présentes, ou qui soulèvent des enjeux sociaux ou sociétaux importants. Ces films et documentaires sont classés par thèmes afin d'en faciliter l'accès aux visiteurs (ne pas les noyer dans la quantité) et aussi pour les insérer dans leur contexte historique et/ou idéologique».[19] Aussi, des liens sont fournis pour pouvoir voir les films en streaming ou alors les télécharger gratuitement à l'aide de logiciels libres et communs.

            A ce niveau, nous donnons l’exemple de trois films: «Les Conti gonflés à bloc» de Philippe Clatot, «Grandpuits et petites victoires» d’Olivier Azam et «Les nouveaux chiens de garde» de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat.

           «Les Conti gonflés à bloc» a le grand prix 2012 du Festival Filmer le travail de Poitiers. Ce film-documentaire retrace le conflit social suite à la fermeture de l’usine Continental de Clairoix en 2009. «Commencée le 11 mars 2009, la lutte des travailleurs accueillait 2 jours plus tard la caméra de Philippe Clatot, qui se fit un devoir de filmer l’ensemble du mouvement social jusqu’à son terme. 90 heures de rush plus tard, il s’attelait au montage de ce film à l’économie également militante».[20] Quant au film «Grandpuits et petites victoires» d’Olivier Azam, il a été réalisé pour raconter l’histoire de la grande grève contre la réforme des retraites en octobre 2010. Ce film a été possible «grâce à l’économie solidaire et sociale: la souscription DVD, la coopération et le volontariat».[21] Enfin, le film «Les nouveaux chiens de garde» traite les sujets d’«indépendance, objectivité et pluralisme» des médias. Ce film «nous apprendra comment la rédaction de TF1 protège les intérêts de son employeur, le groupe Bouygues; on découvrira comment les mandarins du journalisme se vendent, avec quel tarifs; on appréciera les prestations des experts en expertise qui papotent partout et s’égarent souvent: pathétiques gardiens de l’ordre économique et social, qui, de Michel Godet à Élie Cohen en passant par Alain Minc, tournent en boucle entre les entreprises et les plateaux de télé sans cesser de marmonner la même antienne libérale depuis plus de vingt ans».[22] Malgré le black-out médiatique, ce film, inspiré du livre de Serge Halimi qui porte le même titre, rencontre un franc succès dans les salles de cinéma depuis janvier 2012.

    3.  Hadopi et Acta pour museler le militantisme numérique:

            L’exploitation par des citoyens du web et d’internet en général comme moyens médiatiques antisystèmes médiatico-politique et économique qui gèrent les sociétés occidentales, dérange les infocapitalistes et les lobbies politiques. Ces derniers veulent mettre leur mainmise sur internet coûte que coûte. Plusieurs signes ne trompent pas. Entre la fin 2011 et ce début d'année 2012, plusieurs signaux ont annoncé le glas de la liberté d'expression du citoyen, si elle n'était pas «adossée» à des lobbies ou des capitaux. Récemment, lepost.fr a fermé pour laisser la place au Huffington Post: Le post était la dernière plateforme participative (hormis AgoraVox) qui était offerte au citoyen pour s'exprimer librement, sous réserve que ce ne soit pas de l'injure ou de la (vraie) diffamation: Coup de gueule, opinion, pamphlet, buzz, etc. Ensuite, France Télévisions a supprimé purement et simplement sa plateforme de blogs. Quand on rapproche ces événements des projets de «régulation d’internet» (comme Hadopi et Acta) on «perçoit clairement un vent de censure qui souffle sur la planète, une volonté insidieuse de restreindre la liberté d’expression sur le web».[23]

ACTA.jpg           Hadopi est un acronyme qui désigne la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Une autorité administrative mise en place par la loi n°2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. La première loi communément appelée «Hadopi» a été censurée une première fois par le Conseil constitutionnel qui, le 10 juin 2009, refuse tout pouvoir de sanction à Hadopi. Le gouvernement a rapidement proposé un nouveau texte, surnommé «Hadopi 2». Cette fois-ci le Conseil constitutionnel a validé la quasi-totalité du texte. Le 22 octobre 2009, Nicolas Sarkozy jubilait dans un communiqué de presse: «Le Président de la République se réjouit de la prochaine entrée en vigueur de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, après la décision du Conseil Constitutionnel qui en valide le contenu».[24]

            Au niveau européen on veut imposer l’Anti Conterfeinting Trade Agreement ou l’Acta. Acta est un traité commercial négocié secrètement entre plusieurs pays, permettant par la même d’exclure toute forme de débat public lors de son élaboration. Il a été signé début octobre 2011 par huit Etats et débattu au Parlement Européen, sans consultation aucune auprès de la société civile. Ce projet a pour but premier de faire respecter les droits de la propriété intellectuelle, et sa mise en place est «marquée tant par son opacité que par la hâte que mettent ses partisans à le faire passer avant que les citoyens ne puissent se saisir du débat. ACTA permet, entre autres, d’obliger les fournisseurs d’accès internet à fournir aux ayants droit des informations à caractère personnel sur des usagers suspectés de piratage».[25]

            La diversité de la libre diffusion du savoir a permis avant tout aux gens de réfléchir un peu plus par eux même, entre eux même et pour eux même. C'est ce point que des gouvernements «ont en horreur», la liberté augmente via la sphère internet et dans les derniers recours Hadopi et Acta surgissent, à coup de millions d'euros, pour «contrer les voyous» et «karsheriser les aficionados du Peer to Peer».[26] Or tous les activistes du web proposent une solution plus juste et plus applicable: La licence globale. Il s’agirait d’un supplément à payer en plus de son abonnement Internet, dont les fruits seraient reversés aux artistes, auteurs-compositeurs et producteurs.[27]

 

Conclusion:

            Les luttes sociales en France, menées par les syndicats les plus influents, sont souvent un bon échantillon pour une étude critique des médias. Ces derniers prennent une posture de moralisateurs et de défenseurs de l’ordre socio-économique et politique établi. D’abord ce rôle que jouent les médias est dû à une sorte de pensée unique imposée par les info-capitalistes qui détiennent les médias mais aussi la quasi-totalité de la production et de l’industrie française. En plus, les propriétaires des géants médiatiques sont tous impliqué dans des minis-lobbies politiques. Ce qui fait que les journalistes ont quasiment perdu leur liberté d’expression, soumise aux choix éditoriaux et aux intérêts de leurs employeurs. Ces liaisons étroites entre l’argent des capitalistes, les hommes politiques et la gestion des médias ont instauré une attitude préconçue, voire une culture, de traitement médiatique anti-mouvement syndical et hostile aux mouvements de lutte sociale.

            Comme on l’a vu durant Mai 1968, le Plan Juppé 1995 ou encore en 2010 lors des grandes manifestations et grèves répétées contre la réforme des retraites, la presse et les différents supports médiatiques classiques n’hésitent pas à diaboliser les grévistes et les manifestants. Les journalistes concentrent leurs efforts sur la démonstration de la violence des syndicalistes, les pertes économiques, les préjudices contre les citoyens ordinaires et enfin la vanité du mouvement de contestation, selon eux, comparé à la nécessité et à la bienfaisance d’une quelconque réforme. Avec l’avènement du web et la démocratisation d’Internet qui s’est généralisée au début des années 2000, la donne du traitement médiatique des luttes sociale a changé. Le nouveau support que représente Internet a permis la remontée d’une certaine élite anticapitaliste. Animant des blogs et des sites critiques, dotés d’écrits, d’images, de sons et de vidéos, les citoyens-journalistes ont pris leur liberté dans la quête de la recherche et de la diffusion d’informations libres de l’emprise de l’argent et de la politique. Aussi, très particulièrement, le cinéma militant s’est retrouvé une nouvelle vie grâce au numérique et le partage sur internet, autrement dit la culture du buzz. Le buzz est, d’ailleurs, une arme que les médias classiques n’ont pas et commence à ce l’approprier d’internet.        

           Les journalistes-citoyens et les militants virtuels ont pris leur destin en main grâce aux potentialités d’internet. Ils informent et couvrent les luttes sociales comme ils veulent, sans se soucier de l’orientation imposée par un Capital qu’ils n’ont pas. C’est, en grande partie, pour ça que les gouvernements veulent museler le web avec des lois comme Hadopi et Acta.  


[1] Joël de Rosnay, Op.cit. P 17.

[2] Ibid. PP 113-114.

[3] Kali, Liberté du web menacée: C’est pire que vous n’imaginez, le 25 janvier 2012, http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/liberte-du-web-menacee-c-est-pire-108710. Consulté: le 15/04/2012, 18h30.

[4] Joël de Rosnay, Op.cit. PP 146-147.

[5] Ibid. P 150.

[6] Hervé Le Crosnier, Leçons d’émancipation: l’exemple du mouvement des logiciels libres, le 3 août 2009. http://www.acrimed.org/article3160.html. Consulté: le 15/04/2012, 18h30.

[7] Voltaire.org, http://www.voltairenet.org/A-propos-du-Reseau-Voltaire. Consulté: le 29/04/2012, 20h00.

[8] Joël de Rosnay, Op.cit. PP 24-27.

[9] Ibid. P 54.

[10] Ibid. P 70.

[11] Ibid. 78-80.

[12] Ibid. P 82.

[13] Wikipédia.org, http://fr.wikipedia.org/wiki/Arr%C3%AAt_sur_images Consulté: le 21/04/2012, 15h00.

[14] Joël de Rosnay, Op.cit. P 41.

[15] Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses (Masses, télévision et cinéma), Galilée, Paris, 2000. P 183.

[16] Ibid. PP 184-185.

[17] Ibid. PP 188-189.

[18]Humanité.fr, Des images pour magnifier les luttes sociales, le 19 mai 2011,  http://www.humanite.fr/18_05_2011-des-images-pour-magnifier-les-luttes-sociales-472452. Consulté: le 24/04/2012, 20h30.

[19]Cinéma-militant,  http://cinemamilitant.hautetfort.com/about.html. Consulté: le 24/04/2012, 20h30.

[20] Delphine,  Les Contis gonflés à bloc, le 9 février 2012,  http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/02/09/les-contis-gonfles-a-bloc-philippe-clatot/. Consulté: le 24/04/2012, 20h30.

[21] Les mutins.org, http://www.lesmutins.org/grandpuits/spip.php?rubrique37. Consulté: le 24/04/2012, 20h30.

[22] Acrimed, Les Nouveaux Chiens de garde font leur cinéma, le 11 janvier 2012, http://www.acrimed.org/article3747.html. Consulté: le 24/04/2012, 20h30.

[23] Kali, Liberté du web menacée: C’est pire que vous n’imaginez, le 25 janvier 2012, http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/liberte-du-web-menacee-c-est-pire-108710. Consulté: le 28/04/2012, 09h30.    

[24] Frédéric Lordon, le 5 novembre 2009, http://www.acrimed.org/article3247.html. Consulté: le 20/04/2012, 19h00.

[25] Inside Electronic Pipo, ACTA: Pourquoi il faut aller manifester samedi, le 10 février 2012, http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/acta-pourquoi-il-faut-aller-109989. Consulté: le 28/04/2012, 09h00.

[26] MooX, Hadopi, simple volet d’un cancer culturel, le 26 janvier 2012, http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/hadopi-simple-volet-d-un-cancer-108786.  Consulté: le 28/04/2012, 09h00.

[27] Marie-Anne Boutoleau, Hadopi : quel joli nom pour une loi absurde et liberticide, le 23 mars 2009. http://www.acrimed.org/article3104.html. Consulté: le 28/04/2012, 09h30.

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