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Blog de Samir Ghezlaoui

Sur les traces de Fadhma Ath Mansour Amrouche

13 Janvier 2013 , Rédigé par Samir Ghezlaoui Publié dans #Reportages

Elle a passé ses dernières années en Bretagne
Sur les traces de Fadhma Ath Mansour Amrouche

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Reportage réalisé par Samir Ghezlaoui

in El Watan du 13/12/2013

http://www.elwatan.com/culture/sur-les-traces-de-fadhma-ath-mansour-amrouche-13-01-2013-199293_113.php

  Baillé Mairie-de-Baille.JPG

          Sur le chemin qui mène à Baillé, petite commune bretonne à 345 km de Paris, la beauté naturelle et parfois sauvage nous rappelle les villages perdus au fin fond des montagnes de la Kabylie. Au bord de la route, on voit défiler des arbres bien droits, de jolies vaches, des villas modernes mais surtout des maisons traditionnelles séculaires qui n’ont rien perdu de leur élégance architecturale. Les villageois de cette petite contrée possèdent toutes les qualités humaines et sociables d’humbles hôtes. Souriants et accueillants, ils nous expliquent qu’ils ont l’habitude de «recevoir souvent, depuis une dizaine d’années, des pèlerins berbères» ! Pèlerins ? Berbères ? Ils parlent de quoi au fait ? «Depuis 2001, date où nous avons découvert la tombe de Fadhma Ath Mansour Amrouche, notre village est devenu une destination privilégiée de dizaines de berbères en quête de leur identité, venant des quatre coins de la France et même d’Algérie», explique Stéphane Chalifour, président de l’association culturelle locale, Ramdam Des Roses. «C’est Odile Logeais, membre de notre association qui a fait la découverte de la tombe, en s’intéressant au pays du Coglais auquel appartient la commune de Baillé», rétorque à son tour Khaled Drider, de l’Association culturelle des Berbères de Bretagne. Mais pourquoi donc la Grande Fadhma a choisi de finir ses jours dans ce village, construit au milieu de nulle part qu’avec de la roche et du pavé antique ? La première réponse est simple, elle cherchait la paix d’esprit et d’âme dans ses derniers jours de vie dans un coin qui la rapproche, certes spirituellement, un peu plus de sa terre natale, la Kabylie. Elle était née entre le brouhaha des fermiers hyperactifs, des chants traditionnels et la chaleur du vivre ensemble, dégagée par les différents animaux domestiques. Ainsi était sa première demeure, ainsi elle en a choisi sa dernière. En revanche, le destin s’est fortement ingéré dans cette fin inespérée de celle qu’il a tout le temps punie sans grâce : l’exil, la maladie et le deuil de cinq enfants.

Une paix interne retrouvée

          Au milieu de toutes les majestueuses stèles funéraires que compte le cimetière de Baillé, on distingue un tout petit tombeau en marbre gris sur lequel est transcrit son nom en couleur dorée, comme pour dire que cette femme est modeste, mais elle a écrit son nom en or dans l’histoire des siens. A quelques pas d’elle, dort éternellement madame Fernande Simon. «Fernande est la gouvernante de Fadhma. Arrivant à la retraite, elle a invité son employeuse à venir vivre avec elle dans sa maison ici à Baillé. Et c’était le cas. Les deux femmes on vécu ensemble pratiquement quatre ans, avant que la grande poétesse soit transférée à l’hôpital de Saint-Brice-en-Coglès où elle est décédée le 9 juillet 1967», a indiqué M. Chalifour, assurant avec amabilité le rôle de guide historico-touristique. Parlant de la mort de Fadhma Ath Mansour, nous avons pu récupérer un acte de décès qui nous apprend des choses inédites sur sa vie, toujours si méconnue. D’abord, la date de sa naissance, souvent citée comme étant 1882, est fausse. En tout cas, elle est officiellement présumée née en 1887. Quoique fille «illégitime» et «non reconnue» par son père, la justice française, comme elle l’écrit elle-même dans son livre posthume Histoire de ma vie, a forcé son père biologique à la reconnaître, en vain. Néanmoins, l’administration coloniale lui donna une identité parentale complète, avec son vrai nom de famille : «Fadhma Ouadi, fille de Kaci et d’Aïni Maghraoui».

Tombe-de-Fadhma.JPG Acte-de-deces-Fadhma-Ath-Mansour.jpg

Le refus du bannissement

        Sortant du cimetière en direction de la maison qu’elle habitait avec sa fidèle servante, nous empruntons une allée qui porte son nom. «Cette allée communale a été inaugurée en 2005, à l’occasion de la journée de la femme et du Printemps des Poètes que nous avons organisée», précise notre guide. Sur une plaque commémorative, l’on peut lire «Allée Fadhma Amrouche, Poétesse (1882-1967)».                                                                             Alle-Fadhma-Ath-Mansour.jpg                                     

          Après cinq minutes de marche, nous voilà devant une bâtisse splendide, d’apparence très ancienne : toit en gris, murs en pierre et deux grandes cheminées qui donnent à la maison un charme divin. Revêtues d’un marron qui brille de loin, les portes et les fenêtres on été sûrement rénovées. «C’est une maison de 1617, appelée la maison du Sénéchal. Le Sénéchal est un officier de justice qui travaille pour le Roi et ayant les attributions d’un maire de nos jours», précise encore Stéphane Chalifour. C’est dire que Fadhma Amrouche a eu le respect qu’on doit aux reines à Baillé, et cela confirme que personne n’est prophète chez lui, mais ailleurs c’est possible. Cette petite villa est occupée par un couple d’instituteurs. Invités à l’intérieur, M. Philipot Patrick, actuel propriétaire, raconte : «j’ai acheté cette maison par simple hasard et je ne le regrette pas. En 1988, l’un des fils de Fernande Simon voulait vendre cette bâtisse pour pouvoir réparer sa voiture. Pour moi, ce n’était qu’une ancienne maison qui avait besoin d’énormes travaux de rénovation. Plus tard, j’ai découvert sa valeur morale et je ne veux plus m’en séparer. Grâce à ma maison, j’ai appris que le peuple berbère est très fier de ses grands hommes et femmes. Je suis très touché de voir l’importance et le respect qu’il leur accorde».

La-maison-de-fadhma.JPG                          Le-lit-de-Fadhma.JPG

          Sur un ancien album photos qui illustrent l’état de la maison du vivant de Fadhma Ath Mansour, on se croirait en Kabylie. Tout était là : un grenier, un potager, des toilettes à ciel ouvert, les portes et fenêtres en troncs d’arbres, etc. Sur l’un des clichés, on reconnaît ce qui a été sans nul doute le lit de la défunte Fadhma. En effet, la couverture traditionnelle qui ornait le lit est assurément d’origine berbère, tissée manuellement à la laine. Encore un lien symbolique, mais explicite, entre la fille prodige de la Kabylie et son pays jusqu’au dernier souffle, éclat de mémoire et trait de vue. Elle a lutté à sa manière, à la fois contre l’exil et contre le bannissement de ses origines et de son identité. 

Fadhma-Amrouche-et-sa-fille-Taos-a-Baille-en-1966.jpg
Fadhma Ath Mansour Amrouche et sa fille Taos, Baillé – 1966.

 

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